lundi 5 décembre 2016

Expo à La Haye : De Rodin à Bourgeois, Sculpture au 20ème siècle


Vendredi dernier j'ai assisté à une visite guidée de la magnifique expo du Gemeente Museum à La Haye, intitulée "De Rodin à Bourgeois : Sculpture au 20ème siècle".

Le cliché veut que les Pays-Bas soient un pays de peinture plutôt que de sculpture. Cette expo magnifique nous montre le contraire.
Tous les grands noms de la sculpture moderne occidentale sont là : Rodin, Brancusi, Arp, Calder, Giacometti, Moore, Bourgois, Kirchner, mais aussi Miro, Picasso et bien d'autres.

 Degas, Danseuse regardant son pied droit.
Crédit photo : Gemeente Museum



La guide nous a bien aidées à naviguer dans les salles qui retracent l'histoire de la sculpture au 20ème siècle.

Curieusement, la sculpture était considérée au début du XXème siècle comme mineure par rapport à la peinture. Pour preuve, Baudelaire, qui était aussi critique d'art, écrivait un article en 1925 intitulé "Pourquoi la sculpture est ennuyeuse".
Son aspect tridimensionnel était alors vu comme son inconvénient majeur et non comme un avantage !


“La sculpture a plusieurs inconvénients qui sont la conséquence nécessaire de ses moyens. Brutale et positive comme la nature, elle est en même temps vague et insaisissable, parce qu’elle montre trop de faces à la fois. C’est en vain que le sculpteur s’efforce de se mettre à un point de vue unique; le spectateur, qui tourne autour de la figure, peut choisir cent points de vue différents, excepté le bon, et il arrive souvent, ce qui est humiliant pour l’artiste, qu’un hasard de lumière, un effet de lampe, découvrent une beauté qui n’est pas celle à laquelle il avait songé. Un tableau n’est que ce qu’il veut; il n’y a pas moyen de le regarder autrement que dans son jour. La peinture n’a qu’un point de vue; elle est exclusive et despotique: aussi l’expression du peintre est-elle bien plus forte.”
— Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques. Paris: Éditions de la nouvelle revue Française, 1925.

Rodin a bouleversé les codes, utilisant pleinement ce potentiel de 3 dimensions. Imspiré par les impressionnistes et leur touche, il laisse ses empreintes au dos de ses sculptures comme dans sa Figure Volante, ou montre des parties inachevées ou fragmentaires.
Rodin, Figure volante
Crédit photo : Culture Mag

J'ai trouvé les sculptures de Degas (voir ci-dessus et ci-dessous) infiniment émouvantes : la plupart étaient uniquement pour son usage privé et n'étaient pas destinées à être montrées au public. Elles capturent des instants fragiles et suspendus, le geste éphémère d'une danseuse, la pose acrobatique d'une femme à sa toilette.
 Degas, Grande Arabesque, troisième temps
Crédit photo : histoire-image.org


Et sa Petite Danseuse (sa seule sculpture exposée - lors de la 6e exposition impressionniste de 1881) qui avait fait scandale, les petits rats de l'opéra étant accusées d'être plus ou moins des prostituées...

Degas, Etude de nu pour la petite danseuse habillée
Crédit photo : Musée d'Orsay

Rodin, d'abord refusé à un salon parce que sa sculpture L'âge d'Arain, paraissant tellement vivante, a été accusée de n'être qu'un vulgaire moule du modèle, un jeune soldat belge. Des centaines d'esquisses et de photos du travail en cours ont permis à Rodin de prouver le contraire. Ce scandale retentissant amorce alors la gloire de Rodin, alors âgé de 37 ans.


Rodin, L'Age d'Airain
Crédit photo : buitenbeeldinbeeld.nl
Et le scandale de sa sculpture "La Défense", où la femme (génie ailé) hurlante et l'homme contorsionné ne se prêtaient pas aux dignes rigidités des monuments aux morts.
Il avait présenté cette oeuvre au concours lancé en 1879 par l'État français pour un Monument à la République et un Monument à la défense de Paris. La participation aux concours était pour les sculpteurs le moyen privilégié de se faire connaître et d’obtenir des commandes. La Défense représente un soldat blessé, nu, qui rappelle le Christ du groupe en marbre de la Pietà de Michel-Ange (Dôme de Florence). Un génie ailé le soutient, dont l'expression furieuse, les bras tendus à l'horizontale et les poings fermés, évoque La Marseillaise de Rude.

Mais le groupe de Rodin fut refusé dès le premier tour, au profit de celui du sculpteur Barrias, plus classique et équilibré. Il « dut paraître trop violent, trop vibrant. On a fait si peu de chemin depuis La Marseillaise de Rude qui elle aussi crie de toutes ses forces » affirma Rodin en 1917.
Au final, c'est un comité hollandais qui l'offrit comme monument commémoratif à la ville de Verdun. Fierté des Hollandais :-)
Rodin, L'appel aux armes / La Défense 

La déconstruction, fragmentation et reconstruction des formes devient patente avec Derain et son Couple : moitié homme moitié femme, imbriqués et emboîtés, ils deviennent une seule sculpture.
La sculpture se fait dans le bois ou dans la pierre commune (pierre des escaliers de la maison de ses parents !), directement, dans des matériaux peu coûteux et qui ne pardonnent aucune erreur.

Derain, Le Couple
Crédit photo : Gemeente Museum

Reconstruction aussi pour la célèbre tête de Mussolini, du futuriste Bertelli, dont le profil est reproduit à 360 degrés, donnant l'illusion parfaite d'un Big Brother qui regarde et surveille tout.
Bertelli, Profil continu du Ducce / Tête de Mussolini
Crédit photo : Imperial War Museum


Venons-en maintenant à mes deux salles préférées.
 La première s'intitule L'essence de la Réalité, et montre différentes interprétations du réel.
lBrancusi avec sa Négresse Blonde supprime la distinction entre la sculpture et le piédestal en dessous.

Brancusi, la Négresse blonde

Giacometti, quant à lui, montre les corps torturés, contorsionnés, et demande à ce que sa sculpture soit exposée par terre. Sacrilège pour une sculpture dans un musée, alors on la pose sur une plaque au sol.
Giacometti, Femme égorgée 
Crédit photo : galleries.nl

Les mobiles de Calder, suspendus et ondoyants, contrastent avec les sculptures cloutées de Gonzalez (ami de Picasso).
 Calder, New Blériot
Crédit photo : buitenbeeldinbeeld.nl

 Gonzalez, Monsieur Cactus
Crédit photo : Guggenheim

Enfin, dans la salle "La nature comme inspiration", on trouve des sculptures de Barbara Hepworth (enfin une femme dans ce monde très masculin), de Moore et de Arp. Ils font pour la première fois du paysage un sujet.
Barbara Hepworth, Sea Form
Crédit photo : Barbara Hepworth

Nous n'avons pas pu voir les sculptures de Louise Bourgois par manque de temps - ce sera l'occasion pour moi d'y retourner !! Et j'ai juste aperçu les deux petites sculptures de Miro, Oiseau Lunaire et Oiseau Solaire... ainsi que le Giacometti "La Cage"...
Bref, faut vraiment que j'y retourne :-)

A bientôt pour la suite du reportage...
Je termine par une citation de Rodin :
"Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais aussi la vie qui les réchauffe."

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